L’impact de la pandémie de la Covid-19 sur l’économie et les entreprises est aujourd’hui sans appel. Toutefois, si certaines conséquences ne se sont pas faites attendre (arrêt brutal de l’activité, chômage partiel, difficultés d’approvisionnement, etc.), il est encore difficile d’en appréhender toute l’ampleur.
Ainsi, les opportunités [1] laissées par la Covid-19 aux investisseurs aventureux ne doivent pas faire fi d’une prudence toute particulière et d’adaptations [2] au regard de cette situation si singulière.
La réalité de toute transaction de taille significative comporte toujours des inconnues et des risques imprévisibles. En dépit des meilleurs audits et diligences, ces inconnues subsistent longtemps après le closing. D’ailleurs, à l'échelle mondiale, la proportion des polices d’assurance couvrant les risques qui y sont associés est passée de 7% en 2013 à plus de 57% en 2019. Ainsi, parmi les étapes qui structurent une opération de M&A, il est d’usage à l’issue des audits réalisés par l’acquéreur potentiel afin notamment de valoriser la société cible, que le vendeur s’engage sous la forme de déclarations notamment au regard de l’exactitude et de la complétude des informations communiquées. Ces déclarations sont couplées d’une garantie d’actif et de passif par laquelle le vendeur s’engage à indemniser l’acheteur en cas d’augmentation du passif ou de diminution de l’actif de la société cible postérieurement au closing et dont les causes résulteraient de faits antérieurs a priori non connus au moment de l’opération.
Mais aujourd’hui plus que jamais, le vendeur contraint de vendre a-t-il la surface financière nécessaire pour indemniser l’acheteur en cas de manquement à ses déclarations et garanties ? Est-il psychologiquement prêt à fournir une telle garantie ? Pour toutes ces raisons, la conclusion d’une garantie d’actif et de passif est parfois source de discussions voire de tensions entre les parties à l’opération.
Une pratique bien connue des pays anglo-saxons venant atténuer ces inconnues et potentiels blocages entre vendeurs et acheteurs se développe aujourd’hui en Europe dans le sillon des garanties d’actif et de passif :la souscription d’assurances de garantie et d’indemnisation dites « Warranty and Indemnity » (les « W&I », également connues comme les « assurances de garantie de passif »). L’assurance W&I représente un outil précieux contribuant à fluidifier les opérations de M&A en ce qu’elle permet aux parties d’entrer dans les eaux tumultueuses de ces opérations en toute confiance, sachant qu’elles disposent d’une certaine protection contre une grande variété de pertes résultant de des risques inconnus. L’assurance W&I offre ainsi aux acheteurs comme aux vendeurs une solution sur mesure, conçue pour couvrir les conséquences des manquements des vendeurs dans leurs déclarations et garanties. Les acteurs français restent encore réticents à cette pratique qui, bien que présentant des avantages indéniables (I) nécessite une vigilance toute particulière (II).
1. L’assurance W&I : une garantie de la garantie
Les opérations de M&A font très souvent l’objet d’un double niveau de garantie. Le premier niveau est assuré par la garantie d’actif et de passif et le second, par l’assurance W&I en qualité de « garantie de la garantie ». Ainsi, l’assurance W&I n’a pas pour objet de supplanter la garantie d’actif et de passif consentie par le vendeur. Bien au contraire, elle la complète en ce qu’elle fait partie intégrante de l’arsenal juridique mis en œuvre dans ce second niveau de garantie au même titre que les cautionnements, garanties à première demande, etc. La police peut être souscrite soit par l’acheteur pour couvrir les pertes qu’il subit découlant d’une violation (de bonne foi ou non) du vendeur, soit par le vendeur pour couvrir les mises en jeu de la garantie de passif par l’acheteur à la suite d’une violation (de bonne foi) de ladite garantie par le vendeur.
Bien que l’assurance W&I couvre les violations du vendeur relatives à ces déclarations et aux garanties, cette dernière peut être souscrite aussi bien par l’acquéreur que par le vendeur. En effet, il convient de distinguer l’assurance W&I dite « acquéreur », souscrite par l’acquéreur afin de s’assurer une indemnisation en cas de pertes découlant d’un manquement par le vendeur (de bonne foi ou non) à ses déclarations et garanties, de l’assurance dite « vendeur », souscrite par ce dernier pour couvrir les mises en jeu de l’assurance W&I par l’acquéreur à la suite d’une violation (de bonne foi) de ladite assurance W&I par l’acquéreur.
En ces temps incertains, les intérêts de l’acheteur et du vendeur sont plus que jamais antagonistes ; le vendeur souhaite vendre au meilleur prix notamment en mettant en avant de bons chiffres pré Covid-19 et l’acheteur privilégie une acquisition au prix le plus bas notamment en raison des incertitudes à venir et de la probabilité pour la société cible de ne pas retrouver sa bonne santé d’antan.
Dès lors, le vendeur forcé de céder sa société en raison de la crise sanitaire à un prix inférieur à sa valeur d’avant crise, ne sera psychologiquement pas prêt à signer une garantie d’actif et de passif lui laissant supporter un risque d’indemnisation a posteriori, comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il cherchera à ce que l’acheteur supporte la charge des risques.
L’assurance W&I présente donc l’avantage du compromis. Elle permettra au vendeur de réaliser un transfert de risque sur la « tête » de l’assureur, dans l’esprit d’un « clean exit ». En effet, dans ce cas les risques seront portés par un tiers, l’assureur. Ce transfert peut également être dans l’intérêt de l’acheteur qui verra augmenter la surface financière du débiteur de l’indemnité en cas d’appel en garantie.
Pour l’acheteur, l’assurance W&I lui offre un complément à la garantie d’actif et de passif souscrite auprès du cédant, en diminuant la franchise, en augmentant le plafond ou en étendant la durée.
Ainsi, en garantissant une sécurité supplémentaire à l’acheteur et un dédouanement des risques pour le vendeur, l’assurance W&I représente incontestablement un facilitateur d’opérations de M&A. Les avantages énumérés expliquent pourquoi, après un démarrage plutôt lent en Europe, le recours à l’assurance W&I est indiscutablement en phase de décollage.
2. Une pratique complexe ; une vigilance nécessaire
La souscription d’une assurance W&I n’est pas sans risque. En effet, dans le cas d’une assurance dite « acquéreur », le vendeur devra s’assurer d’avoir exclu tout recours subrogatoire de la part de l’assureur. Dans le cas contraire, le risque ne serait pas totalement transmis, ce dernier pouvant alors obtenir le remboursement des sommes avancées, auprès du vendeur. L’assurance « vendeur » quant à elle, ne couvrira pas le vendeur en cas de comportement dolosif ou frauduleux.
L’assurance W&I, en tant que complément de la garantie d’actif et de passif doit nécessairement s’adapter aux déclarations faites par le vendeur dans le contrat de vente (le « SPA »). En effet, une assurance trop générique et décorrélée des déclarations et garanties consenties par le vendeur la rendrait inutilisable dans le cadre d’une demande d’indemnisation.
S’agissant d’une opération globale, l’assurance W&I ne doit pas être négociée à part. Au contraire, l’ensemble de la documentation relative à l’opération de M&A doit être harmonisé. Les négociations du contrat d’assurance doivent être inclues dans le calendrier des opérations.
Si initialement la souscription de telles assurances étaient prévues pour les opérations « large-cap », le développement de la pratique a permis d’étoffer les offres proposées qui sont aujourd’hui de plus en plus précises et adaptées ouvrant ainsi le champ de la souscription notamment aux opérations de « middle-cap ».
Le montant de la prime et son débiteur sont évidemment des éléments déterminants dans la souscription d’une assurance W&I. Comme pour toute dépense envisagée, un acheteur ou un vendeur peut se demander si l’achat d’une assurance W&I lors de la conclusion d’une opération en vaut la peine. Après tout, quelles sont les probabilités qu’elle soit nécessaire ? C’est notamment pour cette raison qu’en France, les acteurs du M&A privilégient un cautionnement ou une garantie à première demande dans la pratique de la garantie de la garantie. Par principe, le coût revient à l’acheteur qui souhaite se couvrir. Toutefois, il n’est pas exclu de négocier un partage des frais avec le vendeur qui, en conséquence, pourra voir sa garantie d’actif et de passif se réduire à due proportion.
Pour conclure, la pratique des assurances dans les opérations de M&A est courante dans les pays anglo-saxons et se développe au-delà. Toutefois, selon le « Howden M&A Annual Review - Mergers & Acquisitions Insurance 2017 Insights », deux irréductibles pays européens n’usent pas encore pleinement de cet outil : la France et la Belgique. Les opportunités liées à la crise sanitaire de la Covid-19 et les incertitudes y afférentes vont peut-être encourager les acteurs français du M&A à se saisir (enfin) de cet outil avantageux sur divers aspects.
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Article rédigé par Virna Rizzo, Avocat, et Jordan Le Gallo, Juriste.
[1] http://www.cohenamiraslani.com/news/covid-19-e28093-vers-une-onde-de28099opportunitc389s-en-distressed-m26a-438
[2] http://www.cohenamiraslani.com/images/page/Articles/Covid19%20et%20MA.pdf
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