À la suite de la reconnaissance par la Russie de l'indépendance des régions de Donetsk et de Louhansk, les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont rapidement imposé une « première tranche » de sanctions économiques supposées « dévastatrices » à l’égard de la Russie. Faute d’engager des troupes en Ukraine, les Etats-Unis et l’Europe ont notamment préféré riposter en bloquant l'accès, pour les banques russes, aux marchés financiers internationaux et aux transactions en dollars. Selon Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ce package de sanctions le « plus sévère jamais mis en œuvre »[1] par l’Union européenne, couplé aux autres sanctions internationales (principalement occidentales) fera « monter l'inflation, accélérera les sorties de capitaux et érodera progressivement la base industrielle » de la Russie.
Néanmoins, l’arsenal de mesures économiques contre Moscou se montre encore aujourd’hui peu dissuasif, n’empêchant pas la poursuite de l’agression menée par le Kremlin. En effet, depuis 2014, la Russie a eu le temps de préparer son autosuffisance ainsi que son rapprochement sans équivoque avec la Chine qui « comprend l’opération militaire spéciale de la Russie »… de quoi remettre en cause l’efficacité des mesures adoptées. Sont-elles suffisantes pour calmer les ardeurs russes ? Ou faut-il frapper plus fort ?
Les sanctions américaines
Le 21 février 2022, le président Biden a signé un décret interdisant un large éventail de transactions liées aux régions de Donetsk et de Luhansk et autorisant les États-Unis à imposer des sanctions supplémentaires à certaines personnes accusées d’avoir soutenu et aidé l’invasion de l'Ukraine par la Russie.
Sont désormais notamment strictement interdits :
Ces sanctions ont pour conséquence d’interdire notamment aux entreprises américaines d'exporter certains produits électroniques vers la Russie. Elles visent aussi des produits fabriqués à l’étranger, mais utilisant des technologies américaines ou incorporant des composants fabriqués aux Etats-Unis.
L'ordonnance autorise également le gel des avoirs de toute personne :
Le décret autorise le Département d'État américain à refuser les visas aux personnes dont les biens et les intérêts sont gelés.
Ces sanctions visent ainsi principalement les secteurs bancaire, technologique et aérospatial de Moscou, bien que les États-Unis n’aient pas pris de mesure contre Poutine lui-même.
Les sanctions britanniques
Dans l'après-midi du 22 février 2022, le Premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé la mise en place d’une « première tranche » de mesures de rétorsion en déclarant que les banques et les individus russes suivants seraient ajoutés à la liste britannique des personnes désignées faisant l'objet de sanctions économiques :
En raison de leur désignation, ces personnes font l'objet d'un gel des avoirs au Royaume-Uni (et pour les individus, d'une interdiction de voyager). Cela signifie que tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à ces personnes, et qui relèvent de la juridiction du Royaume-Uni, doivent être gelés, et qu'aucun fonds ou ressource économique ne peut être mis à la disposition (directement ou indirectement) de ces personnes ou au profit de celles-ci, sauf si une autorisation délivrée par le Trésor britannique le permet. Les banques ci-dessus listées ainsi que la Russie et les sociétés publiques n’auront plus accès à la City et à ses marchés de la dette.
Les « ressources économiques » sont définies au sens large et comprennent tous les actifs qui peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services - par exemple, les biens immobiliers.
Il est important de noter que le gel des avoirs s'étend aux entités qui sont détenues ou contrôlées (directement ou indirectement) par les personnes désignées. Selon les règles britanniques, les fonds et les ressources économiques de ces entités doivent également être gelés, et les fonds et ressources économiques ne peuvent être mis à la disposition de ces entités.
Le Premier ministre a déclaré que ces désignations ciblées constituaient la première tranche de sanctions britanniques et qu'en fonction des développements ultérieurs, d'autres sanctions pourraient être imposées si la Russie prenait de nouvelles mesures à l’égard de l’Ukraine.
Sanctions européennes
Malgré son retard, l'UE a elle aussi durci ses sanctions contre la Russie, notamment dans les secteurs de l'énergie, de la finance et des transports, dans le but de limiter drastiquement l’accès de la Russie aux marchés de capitaux européens, entravant et renchérissant le financement de sa dette. Concrètement décidée à l’unanimité du Conseil le 23 février 2022 puis renforcées le 25 février 2022, les sanctions UE sont notamment les suivantes :
L’Allemagne a interrompu le processus de certification du gigantesque projet de gazoduc Nord Stream 2, qui devait exporter et acheminer du gaz naturel de la Russie vers l'Allemagne.
Néanmoins, les acteurs mondiaux semblent ne faire les choses qu’à moitié. Malgré les réclamations du président ukrainien Volodymyr Zelensky, aucune sanction actuellement en vigueur n’est allée jusqu'à exclure le pays du système d'échanges bancaires internationaux Swift, une mesure jugée à double tranchant par certains pays européens. Pourtant, quelques 300 banques et institutions russes utilisent le réseau Swift pour leurs transferts de fonds interbancaires. Malgré cela, plusieurs pays du Vieux Continent freinent, dont l'Allemagne, très dépendante du gaz russe pour son approvisionnement, mais encore la Hongrie, Chypre, ou la Lettonie. Exclure la Russie du réseau Swift pourrait également accélérer les efforts mis en place par la Russie et la Chine afin de développer un système de transactions financières internationales alternatif… ce que ne peuvent pas se permettre les Etats-Unis.
Plus embêtant, Moscou ne semble pas inquiet des mesures prises et promet une réplique « sévère »… la Russie aurait-elle appris à survivre sans l’Occident ?
Il convient de rappeler qu’en 2014, la Russie avait déjà subi de lourdes sanctions économiques à la suite de l’annexion de la Crimée. Le pays a depuis cherché à s’émanciper au maximum, à produire plus et à importer moins, en développant son agriculture et son propre réseau de transfert de messages financiers, relié à 23 banques étrangères, en créant un gazoduc avec la Chine, en échangeant le dollar contre l’or le yuan et en serrant des liens stratégiques avec le Brésil, l’Inde ou la Chine lui permettant de s’approvisionner en produits manufacturés auprès de ces derniers, rendant ainsi anodine la plupart des sanctions occidentales. Le pays est devenu, par exemple, le premier exportateur mondial de blé. Seulement 10% des hydrocarbures seraient aujourd’hui vendus en dollars en Russie… contre 100% en 2013. En 2020, les importations chinoises de gaz russe ont augmenté de 75% en valeur et de 31% pour le pétrole. Si la Russie ne vend plus ses hydrocarbures à l'Occident, la Chine sera toujours cliente. Ayant eu le temps de se préparer, la Russie, qui a par ailleurs atteint un taux d’endettement public à 0% et qui a agi comme une véritable fourmi avec ses réserves en accumulant près de 800 milliards de dollars, semble plus armée et prête que l’Occident pour une guerre économique.
Aussi, les sanctions économiques pourraient s’avérer en réalité plus lourdes de conséquences pour l’Europe que pour la Russie. L’Europe est-elle réellement prête à couper son robinet en gaz naturel russe, alors qu’il représente 40% du gaz européen, quitte à en subir une inflation dévastatrice ? Option peu probable à notre avis, sauf à trouver une alternative au gaz et au pétrole russes, notamment en accélérant les négociations actuellement sur la table pour faire revivre l’Accord de Vienne (JCPOA).
Article rédigé par Virna Rizzo, Avocat, et Jordan Le Gallo, Avocat.
[1] Selon les termes de de Josep Borrel – Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères.
[2] Une personne américaine est définie comme incluant tout citoyen américain, tout étranger résident permanent aux Etats-Unis, toute entité organisée en vertu des lois des États-Unis ou de toute juridiction présente aux États-Unis (y compris les succursales étrangères) ou toute personne sur le territoire des États-Unis.
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