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L’INVITÉE DES RENCONTRES DE SÉGOLÈNE : MAUD BAILLY, LA PHILOSOPHIE DES LUMIÈRES

Ce portrait a été réalisé le 2 décembre 2016 à l'occasion des "Rencontres de Ségolène" qui sont des dîners de femmes destinés à créer un temps de rencontre et de partage autour d'une personnalité qui livre son parcours de vie dans sa globalité.

 

Adepte de l’humain et de la bienveillance, Maud Bailly croit en une éthique de la transmission et en une certaine philosophie du bonheur, faite d’une capacité à s’émerveiller de l’infime et d’une volonté de redonner ce qui a été reçu. Portrait d’une « empathique rebelle » et d’une surdouée humaniste.

 

Par Caroline Castets

Certains croient en leur réseau, d’autres en leur bonne étoile. Maud Bailly croit en la chance que l’on provoque et au risque que l’on saisit. Surtout, elle croit aux « micro-émerveillements » ; ces bonheurs infimes que beaucoup croisent sans les voir et qu’elle a le don de capter et retenir. Ces « instants de grâce » dont le quotidien est parsemé – une assiette de pâtes dans une rue de Rome, une fontaine gelée du Luxembourg, dans le soleil d’hiver… - et que, depuis toujours, elle amasse et engrange, pour se constituer « une réserve de bonheur » en prévision des jours de pluie ; « une armure » contre l’absurdité du réel et la brutalité de ses revirements. Comme celui qui s’annonce ce soir de décembre, lorsque l’entrée en campagne désormais officielle de Manuel Valls laisse pressentir le démantèlement imminent de son cabinet et, pour celle qui, depuis deux ans, y occupe le poste de chef du pôle économie et finances, l’entrée en terre inconnue. « Mais après tout, la vie est pleine de petites ruptures », relativise Maud ; « et ne pas tout maîtriser est un bon exercice ». Surtout lorsque, comme elle, on a choisi il y a des années déjà d’avancer uniquement « par convictions ». De se laisser guider par une certaine aptitude au bonheur et par ce goût assumé des « aspérités » qu’elle cultive depuis l’enfance.

 

« Je crois en une éthique de la transmission ; à un devoir collectif de solidarité et de bienveillance ».

 

 La surdouée du bonheur

Une enfance « heureuse et ordinaire » passée dans la banlieue Nord de Paris, entre une mère professeur de lettres à Argenteuil et un père ingénieur, deux frères et une grand-mère corse ; D’abord dans l’école publique du quartier puis dans un lycée « mi-zep, mi-normal » qui lui donne le goût de la différence et du contraste. Le goût des autres aussi qui, plus tard, la poussera à croire en « une éthique de la transmission » comme en un « devoir collectif de solidarité et de bienveillance ». Viennent la Première, où une prof de Français la repère et, pour la première fois, lui parle prépa et grandes écoles, le Bac, passé à Gonesse et décroché à 17 ans avec mention très bien, les sollicitations de Louis Le Grand et Henri IV qui la font reculer – trop prestigieux, trop parisiens… - et, quelques semaines plus tard, la rentrée à Fénelon en Lettres Modernes. « Moi qui connaissait NTM par cœur, qui avais grandi sans conscience de la mixité, en pur produit de la méritocratie, je découvre l’écart entre lycée de banlieue et prépa parisienne », se souvient-elle. Le choc est rude. En quelques semaines, Maud découvre les filles habillées en Agnès b, qui connaissent le système depuis l’enfance et, contrairement à elle, en « maîtrisent les codes », l’expérience - inédite - des mauvaises notes à la chaîne, jusqu’aux tampons « têtes de morts » sur les copies d’Allemand, les colles ratées... Et malgré tout, comme toujours chez cette surdouée du bonheur, une accumulation de souvenirs heureux : la vie dans un foyer de bonnes sœurs rue d’Assas et chaque matin, « un émerveillement en traversant le parc du Luxembourg » ; la prépa « pour l’ouverture qu’elle offre », les cours de philo – « ces moments de gratuité » où elle a le sentiment de recevoir sans attendre ; de grandir en humanité et en potentialité - ; l’acharnement - « Je ne suis pas brillante mais je suis tenace, je ne lâche rien ! » - et, en troisième année, l’admission à Normale Sup. 

 

 Le goût du terrain

Une consécration à laquelle succède rapidement une phase de doute. « Je voulais déjà enseigner, mais Prof à temps plein, ce n’était pas mon rêve, je me voyais davantage haut fonctionnaire… » reconnaît Maud qui, déjà, pense à Science Po et l’Ena, le fait savoir et se heurte au jugement sans appel de la direction : « je crois que vous êtes une erreur de casting ». Qu’importe. Les dernières années lui ont donné « le goût de l’adversité » et la foi en « une forme de résilience apaisée ». Elle y va. Au concours d’entrée elle tombe sur une phrase de René Char qui deviendra son mantra - « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque… » - qui lui vaut un 19/20 à l’épreuve de culture G et lui ouvre les portes de Science Po où elle renoue avec la pluridisciplinarité qui lui manquait tant. Elle qui, depuis l’enfance, a « toujours eu du mal avec les lieux endogames et les personnalités monolithiques » ; a toujours préféré « les esprits libres ; un peu disruptifs, un peu barrés ». Surtout, elle se frotte pour la première fois au terrain lors d’un stage au ministère de l’environnement durant lequel elle pilote la mission sur les risques industriels et travaille à l’organisation du débat public. « Pour la première fois j’ai pu mettre des gens autour de la table jusqu’à ce qu’un consensus émerge ; raconte-t-elle. Pour la première fois j’ai su avec certitude que c’était ce que je voulais faire ». À Science Po succède l’Ena et une nouvelle approche du terrain qui la passionne. La mission humanitaire en Haïti, après le séisme, les stages, à Alençon où elle forme des préfets à la Lolf, au Vatican où elle organise un colloque sur les chrétiens du Moyen-Orient et engrange les « micros-enchantements » : « Les orangers l’hivers, les gens beaux, les pizzas au Nutella et les capuccinos, partout de l’esthétisme et de la sensorialité… ». Une époque « bénie » qui la conforte dans son désir de travailler, « hors des bureaux moquettés », au plus près des hommes et du terrain ; la pousse à « revendiquer « un droit au lien et l’affect ; à l’empathie et à la bienveillance ». Un droit à l’humain.

 

« Le bonheur rend performant, il permet de transmettre, de semer des petites lumières, de restaurer les équilibres »

 Prendre et redonner

Lorsqu’à sa sortie de l’inspection des finances elle rentre à la SNCF, Guillaume Pepy lui propose d’être sa directrice de cabinet, elle décline – « pas assez opérationnel… » -. Durant six mois, elle sera tour à tour vendeuse, contrôleuse… de quoi gagner en légitimité avant d’être nommée directrice de la gare puis directrice des trains à Montparnasse. Un lieu hybride et vivant dans lequel elle se reconnaît. « Un espace de brassage de vies, d’émotions… » où elle se fait les dents ; apprend le management des hommes, le dialogue social, la gestion de crise et celle du stress entre la pression des syndicats, les accidents graves de voyageurs, la crise de Brétigny… Du terrain pour de vrai et encore une fois, une période riche et heureuse pour qui, comme Maud, sait « saisir l’instant», s’émerveiller du quotidien, prendre et redonner. « Le bonheur rend performant, affirme-t-elle. Il permet de transmettre, de semer des petites lumières, de restaurer les équilibres ». Ce à quoi elle s’emploie lorsque, en enseignant à Science Po ou lors de séances de coaching informelle qu’elle dispense à qui le lui demande, elle forme d’autres à ce qui, à une époque, lui a manqué : développer une méthode, structurer une pensée, donner envie... Car elle en est convaincue : « la vraie inégalité c’est la méconnaissance des codes. C’est pourquoi il faut transmettre pour corriger le sort ».

Fin 2014, on lui propose de rejoindre le cabinet du Premier Ministre en tant que responsable de la politique économique. Sa fille a quinze mois, la période est troublée ; elle n’ose pas. On insiste ; elle accepte. Là encore, le changement d’univers est radical. « Moi qui était arrivée à la SNCF en étant l’énarque de service, j’arrive à Matignon en étant la chef de gare de service », résume-t-elle avant d’admettre un temps d’adaptation difficile : « Nos choix ont un prix, ils nous engagent ». Le sien ne sera pas neutre : pas assez conforme au profil type, pas assez formatée... « Et en France, on a un vrai problème avec l’altérité », regrette celle qui, quelques temps après sa prise de poste, sera pourtant nommée femme d’influence dans la catégorie politique. Ceci tout en persistant à travailler pieds nus dans son bureau de Matignon ; tout un symbole. Tout un art aussi : celui de maîtriser les codes pour mieux s’en affranchir. De recevoir pour mieux transmettre... Mieux qu’un travail d’équilibriste, une authentique philosophie de vie.  

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