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LES RÉPERCUSSIONS DE LA COVID-19 SUR LA RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES (RSE)

Il y a quelques mois, Emmanuel Macron faisait état de la nécessité de refonder notre modèle économique. La crise sanitaire de la Covid-19, marquée par une situation inédite de confinement, a provoqué une prise de conscience générale, créant un cadre propice aux changements. Les entreprises ont su innover et se mobiliser en masse afin de participer à l’effort de solidarité nationale. Toutefois, à l’heure où la crise sanitaire se transforme en une crise économique majeure, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (« RSE ») risque d’être mise à rude épreuve.

La RSE sera-t-elle encore la priorité malgré la crise post-Covid-19 qui se profile, ou a contrario, la Covid-19 a-t-elle accéléré les changements en faveur d’une économie plus durable sans retour ?

1. L’intégration progressive de la RSE dans l’ordre juridique

Concrètement qu’est-ce que la RSE ? Il s’agit de concilier la dimension économique inhérente aux sociétés avec une dimension sociale et environnementale. Développement durable, conditions de travail, bien-être, dialogue social, santé et sécurité, conciliation des intérêts des parties prenantes, ou encore, traçabilité des produits sont tout autant de thèmes que la RSE recouvre.

Comment ? En adoptant des pratiques plus durables grâce à l’intégration de préoccupations éthiques. Selon la définition de la Commission européenne, la RSE correspond à « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes » (Livre vert, juillet 2001). Elle s’entend désormais de « la responsabilité des entreprises pour leurs impacts sur la société » (Communication de la Commission, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l'UE pour la période 2011-2014).

Juridiquement qu’est-ce que la RSE ? Si la RSE n’est pas à première vue un concept juridique, la tendance actuelle va vers l’édiction d’un cadre normatif. Auparavant, l’idée d’intégrer des enjeux sociaux et environnementaux ne faisait l’objet d’aucune disposition législative. Une telle démarche relevait du volontarisme des entreprises et non d’une obligation légale.

Dans l’ordre international - Dans un premier temps, ce sont les organisations internationales qui ont intégré la RSE dans leurs principes directeurs. Même non contraignants, l’objectif est d’inciter les Etats à instaurer un cadre législatif en la matière. Que ce soit l’OCDE, l’OIT, le Pacte Mondial des Nations Unies ou encore la norme ISO 26000, l’idée est de rendre responsables les entreprises ayant un impact social et environnemental sur la société.

Dans l’ordre juridique français - La RSE est le fruit d’un long cheminement dont il résulte aujourd’hui un foisonnement de lois. La France s’est ainsi dotée de dispositions ayant pour finalité première le renforcement de la transparence des politiques sociales et environnementales des entreprises. Depuis 2001, les Gouvernements successifs ont impulsé ce mouvement.

Une volonté de transparence - Tout a débuté avec la Loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques). Cette loi impose aux sociétés cotées une obligation d’information dans leur rapport annuel quant à l’impact social et environnemental de leurs activités. Traditionnellement, les rapports contenaient uniquement des données financières. En 2010, les Lois Grenelle I et II vont étendre le champ d’application de l’obligation de reporting[1] RSE. Les vérifications opérées par un organisme tiers indépendant marquent une réelle volonté de promouvoir une croissance économique durable. En 2015, la Loi TEE (Transition Ecologique et Energétique) va dans le même sens. Elle élargit les obligations d’information aux investisseurs institutionnels en créant le reporting ESG (enjeux Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) qui permet la prise en considération des effets d’une politique d’investissement sur le climat. En 2017, après la transposition d’une Directive européenne[2], le rapport RSE est remplacé par la déclaration de performance extra-financière des sociétés. On peut également mentionner la Loi sur le devoir de vigilance intervenue à la suite de l’effondrement d’une usine de textile au Bangladesh. Elle oblige les sociétés mères et donneuses d’ordre dépassant certains seuils à élaborer un plan de vigilance afin de tenir compte de l’impact social et environnemental de leurs activités sur les filiales, sous-traitants et fournisseurs, souvent localisés dans des pays peu soucieux des problématiques liées à la RSE.

L’extension de la RSE à toutes les sociétés – Dernièrement, la Loi PACTE (relative à la croissance et la transformation des entreprises) a modifié l’article 1833 du Code civil en y ajoutant un second alinéa « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Dès lors, ces nouvelles préoccupations viennent s’ajouter aux intérêts communs des associés. Toutes les sociétés sont ainsi concernées par la RSE. Aussi, le nouvel article 1835 du Code civil intègre la possibilité pour les statuts de « préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » Il en résulte que l’objet social ne se cantonne plus à la seule performance économique de la société. Si cette « raison d’être » marque un véritable changement législatif, jusqu’à présent, aucune sanction n’est prévue à cet effet, ce qui limite la portée de ces nouvelles dispositions. Le droit de la RSE reste tout de même indirectement sanctionné par la détérioration de l’image d’une société qui choisirait de ne pas s’y conformer. 

2. Le confinement, un tournant pour la RSE

Vers un changement des mentalités - La période d’épidémie a marqué les esprits. Le télétravail étant devenu la norme, le monde de l’entreprise a été contraint de s’adapter. Les employeurs ont dû prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la santé et la sécurité de leurs salariés (réunions tenues à distance, roulement des salariés en présentiel, mise à disposition de masques, désinfection des locaux etc.).

Des sanctions pour les plus récalcitrants - Bien que régie par le Code du travail, la protection face aux risques sanitaires et sécuritaires auxquels sont confrontés les salariés, fait partie intégrante de la RSE et constitue une composante essentielle. Lorsque les entreprises n’y satisfont pas, la justice française les rappelle à l’ordre. A titre d’exemple, Amazon a été contraint de restreindre ses activités aux produits alimentaires, d’hygiène et médicaux et ce, sous astreinte, face aux risques sanitaires encourus par ses salariés (TJ Nanterre, ord., 14 avril 2020, n°20/601, n° R.G :20/00503). Confirmée en appel, cette décision rappelle que santé et sécurité priment sur la performance économique de l’entreprise, ce qui donne indirectement un regain d’importance à la nécessité d’intégrer une politique RSE.

Des actions concrètes - Au-delà des grands discours des entreprises à travers des codes de conduite, certaines ont su concrétiser leur politique RSE en convertissant leur production pour fabriquer des masques, des respirateurs ou encore du gel hydroalcoolique. L’objectif était simple : contribuer à l’intérêt général. La RSE a ainsi été rapidement intégrée dans les stratégies commerciales des entreprises, leur permettant d’une part, de se démarquer de leurs concurrents et, d’autre part, d’être plus attractives. Se conformer à la RSE améliore la réputation de l’entreprise auprès des consommateurs. Certaines entreprises ont encouragé les mobilités moins polluantes grâce aux initiatives gouvernementales (extension des zones de pistes cyclables, essor du forfait mobilité durable pour les trajets professionnels etc.). Face aux pénuries, d’autres envisagent de diversifier leurs fournisseurs de façon à les relocaliser. A terme, il se peut que ces changements perdurent.

Un avenir encore incertain – Toutefois, pour surmonter la crise économique post-Covid-19, il est probable que les entreprises ne donnent pas la priorité à la RSE. Si l’épisode du confinement a prouvé que les entreprises sont capables d’être plus responsables, encore faut-il maintenir une telle implication sur du long terme. Ce n’est qu’une fois l’économie relancée et la crise surmontée, que la RSE pourra sans doute pleinement prospérer.

 

Article rédigé par Marie Lavaud, Juriste-stagiaire.

 

[1] Obligation de rendre des comptes sur la performance sociétale (V. M.-P. Blin et I. Desbarats, Le droit des affaires saisi par le développement durable, in La modernisation du droit des affaires, 2007 : Litec, p. 89).

[2] Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

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