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LES ENGAGEMENTS DE RESPONSABILITÉ DES GRANDES ENTREPRISES BÉNÉFICIANT DE MESURES DE SOUTIEN EN TRÉSORERIE

Afin de faire face aux conséquences économiques de la pandémie du Covid-19, le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures de soutien en trésorerie au bénéfice des entreprises. 

L’octroi de ces mesures n’est toutefois pas sans contrepartie. Le Ministère de l’économie et des finances a ainsi précisé, dans une note publiée le 2 avril courant, l’« Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie ». 

Sous la forme de questions-réponses à la manière des administrations américaines, le Gouvernement définit les engagements qui incombent aux « grandes entreprises » qui sollicitent un report d’échéances fiscales et sociales ou un prêt garanti par l’Etat. Ces engagements ne sont en revanche pas applicables aux versements anticipés de crédits d’impôt que ces entreprises auraient, par ailleurs, pu obtenir. 

Le périmètre de ces engagements concerne les « grandes entreprises », à savoir (i) soit une entreprise indépendante, (ii) soit un groupe[1] de plusieurs entités liées qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins 5.000 salariés ou qui aurait réalisé un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 1,5 milliard d’euros en France.

En pratique, ces engagements prennent les formes suivantes :

  • s’agissant tout d’abord des reports d’échanges fiscales, l’engagement de l’entreprise est formalisé via le formulaire de demande renseigné par voie dématérialisée sur le site impots.gouv.fr.
  • s’agissant ensuite des reports d’échéances sociales, l’entreprise formalise son engagement par un simple message adressé à l’Urssaf et mentionnant son engagement à respecter l’engagement de non-versement de dividendes et de non-rachat d’achats qui conditionne le report d’échéances sociales. Dans le cas des groupes, l’engagement sera adressé par les Urssaf à l’entreprise tête de groupe pour l’ensemble du groupe et ce quand bien même le report n’est demandé que par une ou certaines entité(s) juridique(s) du groupe.
  • s’agissant enfin de l’octroi d’un prêt garanti par l’Etat, l’engagement de l’entreprise est formalisé par l’introduction d’une clause résolutoire dans le contrat de prêt.

Dans sa Note du 4 avril, le Gouvernement précise donc la portée des engagements qui devront être pris par ces entreprises, à savoir le (I) non-versement de dividendes en 2020 et (II) le non-rachat d’actions en 2020 à compter du 27 mars 2020 ainsi que (III) les sanctions encourues en cas de non-respect de ces engagements.

 

I. L’ENGAGEMENT DE NE PAS VERSER DE DIVIDENDES EN 2020

 1.1 Distributions interdites

L’engagement de ne pas verser de dividendes pris par l’entreprise qui entend bénéficier de mesures de soutien de trésorerie est ici entendu largement.

Cet engagement porte, d’une part, sur le non-versement des dividendes au sens strict, à savoir les sommes dont la distribution est décidée par l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes, y compris lorsque la distribution est réalisée en actions. 

Il porte, d’autre part, sur toutes les autres formes de distribution en numéraire ou en actions, incluant ainsi les acomptes sur dividendes et les distributions exceptionnelles de réserves qui pourraient être autorisées par l’assemblée générale tenue extraordinairement.

A cet égard, le fait que le montant du dividende ait préalablement été annoncé (par exemple à l’occasion de l’annonce des résultats annuels) est indifférent.

De même, le fait que l’assemblée ait commencé à être convoquée sur un ordre du jour incluant le principe du versement d’un dividende est indifférent. 

Enfin, la date de détachement et la date de mise en paiement du dividende sont également indifférentes.

1.2 Distributions autorisées  

Les entreprises qui ont pris des mesures de versement de dividendes avant la date du 27 mars 2020 ou qui ont une obligation légale de versement de dividendes ne sont pas soumises au respect de cet engagement. 

La date retenue pour apprécier le respect ou non de l’engagement est la date de la décision de l’organe compétent pour procéder à l’opération

En conséquence, les distributions d’actions résultant d’une décision intervenue avant le 27 mars dernier sont autorisées et ne remettent pas en cause l’éligibilité de l’entreprise aux mécanismes de soutien en trésorerie. En revanche, les distributions de dividendes résultant d’une obligation statutaire ou contractuelle restent soumises au respect de cet engagement.

Par ailleurs, le Gouvernement a précisé que les attributions de titres liées à une réorganisation du groupe ne sont pas assimilables à un versement de dividendes en action.

1.3 Distributions intragroupes 

Le Gouvernement a précisé que les distributions réalisées par les entités étrangères du groupe au profit des entités françaises de celui-ci ne remettent pas en cause les aides demandées par ces dernières. 

De surcroît, les distributions intragroupes sont possibles dès lors qu’elles ont pour effet de soutenir financièrement une société française, notamment afin de lui permettre de respecter ses engagements contractuels vis-à-vis de ses créanciers. Ce régime dérogatoire vise notamment les groupes sous LBO (Leverage Buy Out) pour lesquels le remboursement du service de la dette est un élément central de ce type d’opération.

A cet égard, il convient de souligner que cette dernière dérogation est limitée au bénéfice des sociétés françaises et nécessite de motiver de manière précise et explicite la décision de distribution pour éviter tout risque de sanction au titre du non respect de l’engagement. 

 

II. L’ENGAGEMENT DE NE PAS PROCÉDER À DES RACHATS D’ACTIONS EN 2020

2.1. Opérations interdites 

Les rachats d’actions effectués en vue d’une réduction de capital non motivée par des pertes sont interdits. 

2.2. Opérations autorisées

Toutefois, les rachats d’actions destinés à l’attribution d’actions aux salariés et ceux destinés à l’exécution d’un engagement juridique antérieur au 27 mars 2020[2] sont autorisés. 

Les rachats d’actions dans le cadre de contrats de liquidités conclus avant le 27 mars 2020 et non modifiés par la suite sont également autorisés. 

Les rachats d’actions dans le cadre d’une opération de croissance externe sont autorisés, à condition qu’ils soient nécessaires et que l’opération de croissance externe ait fait l’objet d’un engagement juridique de la société antérieur au 27 mars 2020. 

En cas de contrôle, il incombe à l’entreprise d’établir la raison pour laquelle les rachats d’actions ont été réalisés et la réalité de l’affectation des actions rachetées aux fins invoquées[3].

 

III. LES SANCTIONS ENCOURUES EN CAS DE VIOLATION DES ENGAGEMENTS

Une grande entreprise qui aurait décidé, après le 27 mars 2020, d’un versement de dividende ne pourra plus bénéficier de la garantie de l’Etat sur un prêt garanti par l’Etat qu’elle aurait contracté auprès de sa banque. Ainsi, le Ministre ne signera pas d’arrêté individuel permettant d’octroyer cette garantie et la banque pourra exiger le remboursement anticipé de l’intégralité du principal.

Si une entreprise ne respecte pas son engagement et qu’une décision de ses organes d’administration n’est pas conforme à ces règles, les cotisations sociales ou échéances fiscales reportées ou le prêt garanti par l’Etat devront être remboursés avec application des pénalités de retard de droit commun.

Précisément, l’entreprise se verra appliquer une majoration initiale de 5 % à laquelle s’ajoutera une majoration de 0,2 % par mois de retard.

Ces majorations seront décomptées à partir de la date d’exigibilité normale des échéances reportées.

De surcroît, en cas de violation des engagements souscrits, la responsabilité des dirigeants serait susceptible d’être engagée notamment sur le terrain de la faute de gestion.

 

*

 

Le bénéfice des mesures de soutien de l’Etat étant conditionné au respect de ces engagements de responsabilité, les « grandes entreprises » sont naturellement libres d’y recourir ou non. 

Louable en ce qu’il est motivé par un objectif de contribution à l’effort national, ce dispositif n’en demeure néanmoins contraire à l’essence même du contrat de société dont l’objet est le partage des bénéfices (Art. 1832 du Code civil). 

On rappellera à cet égard que d’un point de vue normatif, il ne s’agit pas d’une interdiction mais d’une incitation de sorte que l’assemblée générale demeure souveraine pour décider, le cas échéant, la distribution de dividendes ou le rachat de certaines de ses actions, avec les conséquences qui y sont attachées.

Enfin, ce dispositif d’exception, justifié par une crise sanitaire d’exception, conditionne l’octroi de mesures de soutien à un engagement des bénéficiaires de ne pas réaliser de telles opérations, qui fera l’objet d’un contrôle a posteriori strict.

A l’instar de l’émergence de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), le mécanisme proposé s’inscrit donc dans la tendance contemporaine à privilégier une conduite morale des affaires et une démarche éthique de l’entreprise.

Certaines entreprises ont d’ailleurs spontanément annoncé la réduction de leur dividende ou encore la diminution temporaire des rémunérations de leurs dirigeants.

L’avenir nous dira si cette tendance subsistera à l’après Covid-19 …

Article rédigé par David Amiach, Avocat, et Adélaïde Hello, Elève-avocat.

 

[1] La définition du groupe peut être prise en faisant référence à la définition utilisée pour la CVAE (article 1586 quater I bis du CGI) ou l’intégration fiscale (article 223 A du CGI). Les seuils s’apprécient donc à l’échelle du groupe.

[2] La date retenue pour apprécier le respect ou non de l’engagement est la date de la décision de l’organe compétent pour procéder à l’opération.

[3] Il n’est pas nécessaire que les actions rachetées aient été effectivement utilisées à cette fin à la date du contrôle.

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