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LES AUDIENCES VIRTUELLES AU TEMPS DU COVID-19

La propagation de la pandémie COVID-19 et les mesures restrictives imposées par de nombreux gouvernements telles que les restrictions de voyage ont rendu impossible pour de nombreuses parties, leur conseil et les témoins, d’assister à des audiences en personne. L’ajournement systématique des audiences ne pouvant constituer une option viable à long terme, les institutions arbitrales ont d’ores et déjà mis en place des mesures d’adaptation, telles que le recours aux audiences virtuelles et aux plateformes de partage de documents conformes aux exigences de distanciation physique, afin de réunir virtuellement et de façon complètement interactive un grand nombre de participants situés dans des pays différents. Certains tribunaux encouragent désormais les avocats et le public à soumettre leur litige, de façon partielle ou totale, à l’arbitrage afin de recourir aux audiences virtuelles et réduire ainsi les retards causés par la suspension des activités des tribunaux.

Or, cette dématérialisation des audiences ne constitue guère une nouveauté dans le monde du droit. En effet, diverses institutions arbitrales, et notamment la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (la « CCI ») à Paris, disposaient déjà de plusieurs outils permettant aux parties, à leurs représentants et aux arbitres de gérer efficacement les procédures arbitrales de façon virtuelle (grâce notamment à la plateforme NetCase de la CCI). A ce sujet, la note d'orientation de la CCI sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie COVID-19 (la « Note d'Orientation »), datée du 9 avril 2020, réitère les conseils pratiques dont les utilisateurs doivent se souvenir afin de mener à bien leurs procédures arbitrales.

La Note d'Orientation (I) rappelle les outils procéduraux dont disposent les parties, les avocats et les tribunaux pour atténuer les retards générés par la pandémie COVID-19 par une plus grande efficacité, et (II) fournit des orientations concernant l'organisation des conférences et des audiences, y compris la tenue de telles conférences et auditions par audioconférence, vidéoconférence ou autres moyens de communication similaires.

(I) Rappel des outils procéduraux pour atténuer les retards générés par la pandémie COVID-19  

La Note d’Orientation énonce en détail les différentes mesures de gestion auxquelles les parties et le tribunal peuvent avoir recours afin d’atténuer les retards générés par la pandémie. Parmi ces mesures figurent les outils suivants :

Le filing électronique. Depuis le 17 mars 2020, le secrétariat de la CCI (le « Secrétariat ») demande aux requérants d’adresser toute requête d’arbitrage et ses pièces sous format électronique (i.e., par courriel à l’adresse arb@iccwbo.org). Dès réception de la requête, le Secrétariat se charge de contacter le requérant afin d’obtenir son accord pour notifier la requête par voie électronique.

Similairement, les demandes de nomination d’un arbitre d’urgence doivent également être transmises par courriel à l’adresse emergencyarbitrator@iccwbo.org.

La signature électronique. La Note d’Orientation incite les tribunaux à favoriser et encourager l’usage de la signature électronique pour signer les divers documents procéduraux tels que l’acte de mission, les mémoires, les pièces et les sentences. Nous invitons les lecteurs à se référer pour plus d’informations à notre article consacré aux signatures électroniques.[1]

La notification dématérialisée des sentences. La Note d’Orientation recommande également aux parties de s’accorder afin de notifier la sentence par voie électronique, sous réserve de l’existence de dispositions impératives, permettant ainsi d’éviter tout retard lié à la discontinuité des services postaux.

La Note d’Orientation précise que si les parties ne parviennent à se mettre d'accord sur la notification de la sentence par voie électronique, ou lorsque la lex arbitri ne permet de recourir à une notification dématérialisée de la sentence, la Cour doit assister les arbitres et les parties et procéder aux notifications dans les meilleurs délais afin de minimiser les effets causés par la pandémie.

Les nouvelles mesures procédurales. Parmi les mesures de gestion efficace de la procédure arbitrale rappelées par la Note d'Orientation figurent également la possibilité pour le tribunal (i) de statuer rapidement sur certaines demandes ou défenses, (ii) de résoudre les questions en litige par étapes en rendant des sentences partielles, (iii) d'identifier si certaines questions peuvent être résolues sur la base de documents uniquement, (iv) d'organiser des conférences de procédure à mi-parcours pour évaluer les questions les plus pertinentes, (v) d'identifier les questions pouvant être résolues sans l'intervention de témoins et/ou d'experts, (vi) d'examiner si les parties accepteraient d'adhérer aux dispositions du règlement accéléré de la CCI, et (vii) d'utiliser l'audioconférence ou la vidéoconférence pour les audiences (voir infra).

(II) L’organisation des conférences et des audiences (virtuelles) à la lumière du COVID-19

Le deuxième aspect pratique de la Note d'Orientation consiste en l'assistance fournie aux arbitres et aux parties sur les questions (et paramètres) devant être pris en compte afin de décider si tenir des audiences virtuelles et, le cas échéant, comment les organiser.

La Note d'Orientation rappelle tout d'abord qu’afin d’organiser des audiences virtuelles, le tribunal se doit d’évaluer toutes les circonstances propres à chaque dossier, y compris celles causées par la pandémie COVID-19 (par exemple, le lieu où se trouvent les parties, l’impossibilité pour les arbitres ou l’une des parties de se déplacer, etc.) ainsi que la nature, la durée des audiences, la complexité de l'affaire, le nombre de participants, la nécessité éventuelle de procéder sans délai à une audience du fait que la reprogrammation de l’audience entraînerait des retards injustifiés ou excessifs, et le droit des parties de se préparer correctement aux audiences.

En d’autres termes, le tribunal doit considérer les différentes situations et envisager s’il convient, compte tenu des circonstances (i) de reporter les audiences (en personne), ou (ii) de maintenir les audiences (en personne) en prenant des mesures sanitaires ou précautions particulières pour préserver la santé et la sécurité des participants, ou encore (iii) d’opter pour des audiences virtuelles, menées par vidéoconférence.

Ainsi, s’il est nécessaire de réunir tous les participants dans une seule pièce, les parties et les arbitres doivent s'efforcer de reprogrammer l’audience en personne de manière à réduire les retards au minimum et doivent discuter des mesures sanitaires appropriées afin d’assurer la sécurité de tous les participants. S'il est décidé au contraire de procéder à une audience virtuelle, les arbitres et les parties doivent prévoir les particularités de cette procédure en fonction des circonstances et des enjeux du dossier. Il existe donc plusieurs façons de mener une audience virtuelle, en fonction des particularités de chaque dossier. Dans certains cas par exemple, le tribunal et les parties se trouveront dans un même lieu et un seul témoin témoignera à distance. Dans d'autres cas, un témoin et les avocats chargés de son interrogatoire se trouveront dans un même lieu tandis que le tribunal et les autres participants seront à distance. Dans d’autres situations encore, tous les intervenants participeront à l’audience à distance. Une seule leçon est à retenir : les procédures doivent être modulées en fonction des enjeux propres à chaque dossier.

Lorsqu'il s'agit de décider si mener totalement ou partiellement une audience par vidéoconférence, le tribunal et les parties doivent examiner la technologie disponible et les exigences en jeu, notamment le nombre de sites distants pouvant être connectés, la vitesse de transmission minimale et la résolution requise pour une transmission vidéo et audio claire et nette. 

Le pouvoir du tribunal de procéder à des audiences virtuelles. Bien qu’il soit préférable d’obtenir l’accord préalable des parties afin de tenir des audiences virtuelles, le tribunal peut néanmoins décider de procéder à une audience virtuelle sans l'accord préalable de ces dernières. Pour ce faire, le tribunal doit examiner attentivement toutes les circonstances pertinentes du dossier et motiver sa décision. Après avoir consulté les parties, les arbitres peuvent ainsi tenir compte de leur large pouvoir procédural en vertu de l'article 22(2) du règlement d'arbitrage de la CCI (le « Règlement ») pour "adopter les mesures procédurales que [le tribunal] juge appropriées, à condition qu'elles ne soient pas contraires à un accord des parties". Le tribunal "procède dans les plus brefs délais à l'établissement des faits de la cause par tous les moyens appropriés" (article 25, paragraphe 1 du Règlement).

La Note d'Orientation indique en outre que l'article 25, paragraphe 2 du Règlement, est structuré de manière à déterminer si le tribunal peut statuer sur le litige en se fondant uniquement sur des observations et des documents écrits ou s'il doit également tenir une audience en personne. A ce sujet, la Note d’Orientation confirme qu'une audience peut avoir lieu virtuellement si les circonstances le justifient. L'article 25, paragraphe 2 du Règlement prévoit en effet que : "Après examen des écritures des parties et de toutes pièces versées par elles aux débats, le tribunal arbitral entend contradictoirement les parties si l'une d'elles en fait la demande ; à défaut, il peut décider d'office de leur audition.

Une fois encore, le guide du Secrétariat sur l’arbitrage de la CCI note à ce titre que "la question de savoir si le tribunal arbitral interprète l'article 25 paragraphe 2 du Règlement comme nécessitant une audience physique, ou si l'utilisation de la vidéo ou de la téléconférence suffit, dépendra des circonstances de l'affaire."

Les paramètres indispensables au déroulement des audiences. La Note d'Orientation prévoit que, pour garantir que les parties soient traitées sur un pied d'égalité et aient la possibilité de présenter leur cause au cours d'une audience virtuelle, le tribunal doit prendre en considération plusieurs paramètres, tels que, inter alia, les différents fuseaux horaires pour fixer les dates d'audience, les contraintes logistiques de chaque participant, l’utilisation d’un service de retranscription instantanée, l’intervention d’interprètes, la vérification de la présence et l’identification de tous les participants, l’utilisation de pièces pendant l’audience (« demonstrative exhibits ») et l’utilisation d’un jeu de documents spécifiques sous format électronique (le « bundle » électronique). En outre, les parties et les arbitres doivent s'entendre sur le choix des plateformes de vidéoconférence et de partage des documents permettant de tenir les audiences virtuelles.

La Note d’Orientation présente, en annexe 1, une checklist des différents paramètres à prendre en compte très utile à cet égard.

Le cyber-protocole. La Note d’Orientation préconise de figer les paramètres de l’audience dans un cyber-protocole, un acte qui permettra aux parties, à leurs conseils et au tribunal de se mettre d’accord sur l’ensemble des mesures nécessaires tout en respectant les règles impératives et de protection des données. Il y sera également fait état du caractère confidentiel ou non des audiences et de la confidentialité des informations échangées sur la plateforme électronique.

La Note d’Orientation recommande de contacter le centre d’audience de la CCI pour un premier support si nécessaire et renvoie vers un comparateur de plateformes susceptibles d’accueillir une audience virtuelle. Les parties, leurs conseils et les arbitres sont encouragés à bien vérifier les services auxquels ils auront recours.

La technologie audiovisuelle des plateformes. Tel qu’anticipé, de nombreuses plateformes électroniques (comme Epiq et Opus) permettent aujourd’hui une informatisation, partielle ou totale, des audiences.

Grâce à ces plateformes, le tribunal dispose d'un contrôle sur l'orientation des caméras rotatives, lui permettant entre autres (i) de vérifier que les personnes se trouvant aux côtés des témoins sont bien celles qui ont été autorisées à participer à l'audience et que ces dernières n'interagissent pas avec le témoin de façon contraire aux règles de procédure applicables, et (ii) d’évaluer l'environnement physique dans lequel le témoin est localisé.

De telles plateformes permettent également (i) à des groupes de participants, comme le conseil ou le tribunal lui-même, d'organiser des conversations en aparté, et (ii) de promouvoir la compréhension auditive de tous les participants par des options de transcription en temps réel pouvant inclure le sous-titrage à l'écran.

Il est à noter que l’usage de ces plateformes implique la participation à distance d'opérateurs spécialisés aptes à gérer la liaison vidéo de façon efficace et à déployer les documents à partir de liasses d'audition électroniques. La participation de ces opérateurs permet ainsi de résoudre rapidement toute faille technologique et de mettre rapidement à disposition des participants les documents sur lesquels le témoin est interrogé ou auxquels son conseil fait référence.

Les premières expériences de déploiement de ces technologies sont très prometteuses.

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POUR CONCLURE, le changement de cap est positif et nous devons nous en inspirer. Parmi les avantages que comporte la tenue d’audiences virtuelles, nous pouvons certainement citer le gain de temps, les économies faites sur les frais de déplacement mais surtout, la préservation d’un environnement durable, enjeu majeur de notre génération et des générations futures. Or, la possibilité de recourir à des audiences virtuelles n’est pas une nouveauté. Cet outil avait déjà été développé grâce aux avancées technologiques mais était tombé aux oubliettes… jusqu’à présent. Cette flambée virale soudaine pourrait bien être l'événement déclencheur nous permettant de mettre en lumière des questions que nous avons continué à ignorer parce que les modèles auxquels nous étions habitués étaient confortables. Il n'y avait aucune raison de changer, sauf si nous y étions contraints. La perturbation causée par la pandémie nous a poussé à penser, et à travailler, différemment. Peut-être avons-nous eu besoin de cette épidémie pour découvrir que des audiences peuvent être menées virtuellement, et, espérons-le, pour commencer à envisager d'aller plus loin dans l'application de notre technologie.

 

Article rédigé par Ardavan Amir-Aslani, Avocat, et Virna Rizzo, Avocat. 

 

[1] https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/69561-vers-une-emergence-signature-electronique-covid-19.html

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