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CRYPTOMONNAIES : LA CARTE À JOUER PAR LA RUSSIE POUR CONTOURNER LES SANCTIONS ECONOMIQUES ?

Suite aux différentes sanctions économiques prises par l’Occident et notamment son exclusion du système SWIFT, provoquant l’effondrement du rouble, la Russie n’a eu d’autre choix que de diversifier ses méthodes de transactions afin de poursuivre un maximum de relations commerciales. Depuis quelques jours, le marché des cryptomonnaies a ainsi explosé, atteignant un niveau record. Et pour cause : les Russes se sont rués vers le Bitcoin comme réserve de valeur, cette devise étant décentralisée, c’est-à-dire non contrôlée par un gouvernement.… de quoi remettre en cause l’efficacité de l’arsenal de sanctions déployées contre la Russie ?

Or, la question du contournement des sanctions économiques par l’emploi des cryptomonnaies n’est pas nouvelle et fait déjà l’objet d’une attention toute particulière outre-Atlantique. Le Bitcoin s’était déjà illustré sur ce terrain en 2011, lorsque Wikileaks avait utilisé cette cryptomonnaie pour contourner les sanctions américaines. Rappelons également que dès 2017, la plateforme Bittrex avait gelé des fonds iraniens pendant deux (2) ans afin d’éviter des sanctions primaires à son encontre de la part de l’OFAC. En mars 2018, Donald Trump avait publié un décret présidentiel interdisant explicitement les transactions en crypto-monnaies avec le Venezuela, en particulier le Petro (devise virtuelle nationale créée par le Venezuela). Enfin, en décembre 2020, puis en février 2021, l’OFAC est allée plus loin en condamnant les plateformes d’intermédiaires en cryptomonnaie Bitgo et BitPay Inc. à payer respectivement une amende d’environ 100.000 et 507.375 dollars pour ne pas avoir mis en place de système de compliance apte à identifier précisément leurs clients[1].

Pourquoi alors cet engouement ? Contrairement au rouble, les cryptoactifs comme le Bitcoin fonctionnent sur un réseau neutre, ouvert et décentralisé ne nécessitant l'intervention d'aucune banque centrale, ni d’aucun Etat. Résultat : bien que régulés, les cryptoactifs ne peuvent pas être neutralisés aussi aisément que le système de virement SWIFT. Le recours aux cryptomonnaies pourrait ainsi être un moyen de contournement des sanctions par la Russie, d’autant plus que le pays est très friand de cette technologie depuis plusieurs années. Selon le Cambridge University Center for Alternative Finance, la Russie est la troisième superpuissance de minage de bitcoins derrière les États-Unis et le Kazakhstan.

Toutefois, les cryptomonnaies ne seront à notre avis pas suffisantes pour contrer les sanctions internationales.

Malgré le refus initial exprimé par la plupart des grands exchanges (Coinbase, Binance ou Kraken) de bloquer les comptes de résidents russes, les plateformes américaines et celles agissant en qualité d’intermédiaires de transactions de produits U.S. vont très certainement, à l’instar des banques pour les transactions financières que l’on pourraient qualifier de « classiques », être adeptes de l’« over-compliance », c’est-à-dire renoncer à toute transaction dès lors que l’une des parties à l’opération sera liée à la Russie, de peur de subir les foudres du gendarme américain.

Au niveau européen, aucune mesure concrète n’a été prise par l’Europe pour le moment. Et pour cause : il n’existe  aucune réglementation commune. C’est pourquoi Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne, pousse pour que la loi MiCA (markets in crypto-assets) « soit adoptée le plus rapidement possible afin que nous ayons un cadre réglementaire ». En effet, le 24 septembre 2020, la Commission européenne a transmis une proposition de règlement sur les marchés de cryptoactifs, le MiCA, dans le dessein d’ « instaurer un cadre européen qui permette à la fois la création de marchés de cryptoactifs, la tokénisation des actifs financiers traditionnels et un recours plus massif à la (blockchain) dans les services financiers ». Ce règlement aurait pour objectif d’offrir un cadre juridique à ces transactions d’un nouveau genre.

Dans tous les cas, sans avoir à évoquer les risques de condamnation provenant aujourd’hui principalement des Etats-Unis, il convient de noter que les caractéristiques des systèmes blockchains ne permettraient pas à la Russie de compenser les pertes économiques subies par les sanctions internationales. En effet, la scalabilité de bon nombre de cryptomonnaies, à savoir la capacité pour une cryptomonnaie d’augmenter substantiellement le nombre de ses transactions, rend leur utilisation intrinsèquement limitée ne permettant pas à un pays comme la Russie d’en faire une alternative viable aux transactions bancaires. Également, la transparence des systèmes blockchains entrainerait pour la Russie un déballage public de ses transactions au vue et su de beaucoup, ce qui n’est pas plus envisageable, ni pour Poutine, ni pour ses partenaires commerciaux. En effet, si la technologie blockchain permet de garder les transactions anonymes, elles n’en restent pas moins traçables. Les cryptoactifs doivent in fine être reconvertis en monnaie ordinaire, généralement en dollar américain, pour être dépensés dans l'économie mondiale. Ces transactions exposeraient ainsi tout partenaire faisant affaire avec la Russie à de lourdes condamnations.

En conséquence, si l’utilisation de la cryptomonnaie comme outil de contournement est entendable pour des acteurs individuels ou des TPE / PME, elle ne l’est pas pour la Russie, lequel pays se voit placé sous le feu des projecteurs limitant d’autant plus le nombre d’audacieux qui accepteraient de participer, directement ou indirectement, à des transactions en violation des sanctions économiques.

 

Article rédigé par Virna Rizzo, Avocat, et Jordan Le Gallo, Avocat.

 

[1] Pour plus d’informations sur ces affaires : https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/77510-sanctions-economiques-et-cryptomonnaies-quand-les-etats-unis-s-en-melent.html. Ces plateformes ont été condamnées pour avoir autorisé des transactions alors même que l’adresse IP des acheteurs de produits vendus par des professionnels situés aux U.S. se trouvaient dans des pays sanctionnés. Cependant, l’identité réelle des parties la transaction n’était pas connue.

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